Épilogue

Je me suis réveillé en sursaut. La marionnette avait glissé de ma main et, en tombant, la tête s’était brisée en plusieurs morceaux.

Je ne sais pas si ce qu’il m’a conté est la pure vérité et si je ne suis pas dans un « delirium qui n’a rien de très mince », mais je crois m’être souvenu de tout et je l’ai retranscrit de mon mieux. Dans tous les cas, ce bouffon m’inspire le respect plus qu’aucun autre pantin politique ou artistique qui s’agite sur les écrans des diverses chaînes de télé.

Je vous remercie du plus profond de moi-même, messire Triboulet. Vous resterez pour moi (pardon, mesdames !) la plus belle de mes nuits. Cela tombe très bien, je n’ai plus l’intention d’en vivre d’autres. Voici le moment venu de mettre à exécution une décision mûrement réfléchie. Je vais doucement me laisser glisser dans la nuit éternelle. N’ayant pas une fiole de matrone, je me contente d’une boîte entière de barbituriques que je vais avaler. Mélangée avec les deux bouteilles de Bowmore, l’effet va être radical.

Je ne pouvais pas rendre un plus bel hommage au sieur Triboulet que celui de choisir la même mort que lui.

Je pars vous rejoindre, mon cher homonyme ! Quelle meilleure compagnie que la vôtre ?

Au moment où j’ouvre le tube et m’apprête à vider son contenu au fond de ma gorge, mon portable, que je croyais déchargé, se met à vibrer avec insistance. Quand on a envie de décrocher de la vie, a-t-on envie de décrocher son téléphone ? Surtout quand le numéro est masqué ! Geste machinal ou signe du destin ? Allez savoir.

« Oui ?

— C’est toi, Alain ?

— Pour peu de temps encore, oui.

— C’est Christian, ton agent !

— Je t’avais reconnu.

— Tu as le rôle !

— Quel rôle ?

— Les essais que tu as passés la semaine dernière pour le film de Gaël Le Bornec. C’est toi qui as été choisi.

— Tu plaisantes ?

— Jamais dans le travail. Tu pars dans un mois en Roumanie pour douze semaines de tournage. Ton premier rôle dramatique. Qu’est-ce que tu en dis ?

— Que ça ne pouvait pas mieux tomber. »

La batterie à bout de souffle interrompt la conversation. Je reste hébété, assis sur le bord du lit. Je regarde la marionnette qui gît par terre devant moi. Je la prends dans ma main, ayant ramassé les morceaux de la tête brisée que je recollerai soigneusement. Ce sera mon porte-bonheur pour le restant de mes jours. Ce cher Triboulet qui a changé ma vie et qui vient même de me changer ma mort.

Rassure-toi, mon ami, j’irai te retrouver mais pas tout de suite. Il te faudra m’attendre au moins une bonne quinzaine de films ! Je ne te demande qu’une chose, quand je viendrai te rejoindre, prépare-moi un bon gueuleton avec des invités de marque qui ont rempli ma vie : D’Artagnan, Molière, Nietzsche, Orson Welles, Maupassant, Verlaine, sir Laurence Olivier, Jules Renard, Rossini, Frank Sinatra, Sacha Guitry, Thomas More, Louis Armstrong, Gene Kelly, Verdi. On laissera entrer Mozart même s’il arrive en retard. J’ai tant de questions à leur poser, ils auront tellement de choses à me dire, et moi j’aurai l’éternité pour les écouter. Quand je ferai mon entrée dans leur grande salle à manger, je verrai dans leurs regards une lueur d’envie et d’admiration car j’aurai à mon bras Ava Gardner.

 

Castelnau-Magnoac, juillet 2009.

Noisy-le-Roi, octobre 2010.

 

FIN